Brou Amessan Pierre Israël, Ex-Directeur Général de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI).

Brou Amessan Pierre Israël a joué un rôle très important dans la défense des Institutions de la République au plus fort de la crise postélectorale de 2010-2011.

Brou Amessan Pierre Israël, ancien Directeur Général de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI), est décédé le lundi 28 juillet 2025 à l’âge de 67 ans. Il a dirigé la RTI, la Chaîne de service publique pendant cinq ans, de 2006 à 2011, au plus fort de la crise ivoirienne. Pour rappel, celle-ci a commencé le 19 septembre 2002 avec une rébellion venue du Burkina Faso de Blaise Compaoré, aujourd’hui en exil en Côte d’Ivoire. A partir de 2002, la Côte d’Ivoire, notre pays, a vécu une période marquée par des tensions politiques majeures. La RTI était au centre de la Communication gouvernementale. Il fallait défendre les institutions de la République et Brou Amessan Pierre Israël a joué un rôle très important dans cette « bataille » à la tête de la Chaîne de Télévision nationale. A ce titre, avec le soutien de ses camarades du Comité de Direction et des agents de la RTI, il a dû composer avec un contexte politique extrêmement délicat et complexe. Finalement, la crise postélectorale de 2010-2011 l’a contraint à l’exil au Ghana voisin. Il est revenu au pays en 2015. Ci-dessous l’hommage à lui rendu par Docteur Jean Claude DJEREKE.

Le silence comme ultime élégance.

Il est parti comme il a vécu : dans la discrétion, loin du tumulte et des projecteurs, dans ce silence digne qui fut sa marque. Beaucoup d’entre nous ignoraient même qu’il était malade. Brou Amessan Pierre était de ceux dont la souffrance se cache derrière un sourire réservé, un mot d’encouragement, une pensée tournée vers les autres plutôt que vers lui-même.

Il ressemblait à ce loup dont Alfred de Vigny a célébré la noblesse tragique dans " La Mort du Loup". Comme lui, il a "rendu l’âme sans jeter un cri", car, "à voir ce que l’on fut sur terre et ce qu'on laisse, seul le silence est grand". Son silence, ce n’était ni une faiblesse ni une résignation. C’était une forme de grandeur, une fidélité à sa pudeur naturelle, un refus de l’apitoiement.

Dans les rares échanges que j’ai eu le privilège d’avoir avec lui, jamais je ne l’ai entendu se plaindre. Et pourtant, il souffrait. Il souffrait en silence, peut-être de la même douleur que ceux dont les comptes avaient été bloqués injustement pour avoir pris la défense de la République. Une souffrance morale, une douleur d’injustice, mais qu’il portait sans bruit, comme on porte une croix.

Je me souviens encore de l’émission catholique qu’il animait avec tant de ferveur. Elle débutait par un chant en langue dida, Klwegnon, le ayo Awoukoua bo nan fia fia (Seigneur, merci grandement), composé par Alain Grah de Brayeri. Cette émission n’était pas une simple case de programmation sur la grille de la RTI. C’était pour lui un véritable ministère. Il sillonnait le pays, visitait des paroisses, dialoguait avec des évêques et prêtres, écoutait les fidèles. Il connaissait l’Église catholique de Côte d’Ivoire comme peu la connaissent. Mais, fidèle à son tempérament réservé, il gardait ces trésors dans son cœur, "comme Marie", selon l’expression évangélique.

Il fallait gagner sa confiance pour qu’il accepte de se livrer un peu. Mais, une fois ce lien établi, ses paroles devenaient sagesse, mémoire et inspiration. À la tête de la RTI, dans des circonstances souvent troublées, il joua un rôle décisif. Il informa, expliqua, rassura. Surtout, il donna du courage aux Ivoiriens. À la fin du journal télévisé de 20h, sa formule de clôture devenait un cri d’espérance: "Haut les cœurs" — Sursum corda, en latin. Ce latin qu’il avait appris sur les bancs du Petit Séminaire Saint-Dominique Savio de Gagnoa, aux côtés d’autres figures comme Joseph Guéhi Gnagnon.

Brou Amessan était aussi un homme de parole, au sens noble du terme. Il croyait au pouvoir du verbe, à la puissance des mots justes, à la force tranquille de l’engagement. Le dernier message qu’il m’écrivit, le 8 juillet 2025, disait ceci: "Bonsoir, cher frère. Il faut rassembler tous tes écrits pour un livre. Il y a de la matière. Merci. Bonne soirée. Ici, il est 20 h 55."

Comme souvent, il avait vu juste. Ce projet de livre, je l’avais à l’esprit, mais lui avait déjà pressenti l’urgence de le mener à bien. Il ne pourra malheureusement pas le lire. Et cela me fait mal. Car j'aurais tant voulu avoir son regard, son avis, son approbation, sa voix, encore une fois, pour dire: "Haut les cœurs."

Mais ce qui me ronge encore davantage, c’est le silence des institutions à son sujet. Aucun hommage, aucun mot de ceux qui lui ont succédé à la télévision nationale. Ceux-là même qui, aujourd’hui, brandissent les grands discours de réconciliation et de cohésion n’ont pas trouvé utile de saluer la mémoire d’un homme qui, toute sa vie, a servi l’État avec loyauté et intelligence. Ce n’est pas seulement une erreur. C’est une faute morale.

Ce traitement n’est pas inédit. Bernard Dadié, lui aussi, figure tutélaire de notre culture, fut victime de la même indifférence. Il semble que notre pays ait encore du mal à honorer ses fils et filles lorsqu’ils ne sont plus là. Et pourtant, quels que soient nos désaccords, quels que soient les contextes politiques, il est un devoir qui nous dépasse tous: celui de rendre hommage à ceux qui ont été de grands serviteurs de la République.

Brou Amessan Pierre n’attendait ni statue, ni louanges. Il ne cherchait pas la reconnaissance publique. Il aurait pu dire, comme le loup de Vigny: "Fais énergiquement ta longue et lourde tâche dans la voie où le sort a voulu t'appeler. Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler."

Mais nous, ses contemporains, avons le devoir de ne pas laisser ce silence recouvrir sa mémoire. Il ne s’agit pas de briser la discrétion qui fut sienne, mais de la reconnaître comme une forme d’élégance, une manière d’être au monde que nous aurions tort d’oublier.

Aujourd’hui, alors que sa voix s'est tue, il nous reste ses actes, ses paroles, ses silences aussi. Il nous reste surtout une exigence: continuer à œuvrer dans la vérité, l’humilité et le service. Et à chaque fois que la tentation du découragement nous guettera, souvenons-nous de sa voix grave et posée, concluant le journal par ce mot d’espérance : " Haut les cœurs "! 
Jean-Claude DJEREKE.

Docteur Jean Claude DJEREKE, Enseignant-Chercheur et Écrivain.

Jean-Claude Djéréké est né en 1962 en Côte d'Ivoire. Il a étudié les lettres modernes, la philosophie, la théologie et les sciences politiques.

Jean-Claude Djéréké est né en 1962 en Côte d'Ivoire. Il a étudié les lettres modernes (Abidjan), la philosophie (Kinshasa), la théologie (Nairobi et Rome) et les sciences politiques (Paris). Il a exercé dans l'éducation et le développement, au Tchad, au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso. Docteur en histoire et sociologie des religions (EPHE-Sorbonne/Paris) et auteur de plusieurs articles et ouvrages, dont L'Engagement politique du clergé catholique en Afrique noire (Paris, Karthala, 2001) et Abattre la Françafrique ou périr. Le dilemme de l'Afrique francophone (Paris, L'Harmattan, 2014), il enseigne à Drexel University (USA), tout en travaillant avec le Centre des recherches pluridisciplinaires sur les communautés d'Afrique noire et des diasporas, basé à Ottawa.

Agence GLOUZILET

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Auteur de l'Hommage à Brou Amessan :
Docteur Jean Claude DJEREKE
Chapeau de l'Hommage et illustration :
Docteur Ben ZAHOUI-DÉGBOU
Agence Glouzilet avec Wikipédia
glouzlletnews.com
Paris le 4 Septembre 2025.