
Source : Glouzilet News Edition -- (Agence GLOUZILET) Date : 16-09-2025 19:55:05 -- N°: 108 -- Envoyer à un ai
Le Président Alassane Ouattara, le Vice-Président Tiémoko Meyliet Koné et le Premier Robert Beugré Mambé à l'aéroport d'Abidjan.
Le Président Alassane Ouattara regagnait Abidjan le 17 juillet dernier après un tête-à-tête à l’Élysée avec Emmanuel Macron.
La scène politique ivoirienne connaît une nouvelle secousse à l’approche de la prochaine présidentielle, et l’ombre de Paris s’invite à nouveau dans les débats. Alors que la perspective d’un quatrième mandat d’Alassane Ouattara divise la société ivoirienne, la France semble avoir pris position, avec constance et calcul. Dans la logique des rapports de force, Ouattara apparaît à ses yeux comme le garant d’un équilibre régional favorable, au risque d’exposer la démocratie ivoirienne à de nouvelles tensions et à des remises en cause.
La Côte d’Ivoire, il faut le rappeler, n’est pas un pays comme les autres dans le dispositif géopolitique français. Elle est le pivot, le cœur battant de l’influence hexagonale en Afrique de l’Ouest. Première puissance économique de l’UEMOA, hub portuaire, commercial et financier, mais aussi carrefour diplomatique et militaire, Abidjan incarne la vitrine de la présence française dans la sous-région.
Perdre la Côte d’Ivoire reviendrait pour Paris à céder un terrain précieux dans un espace stratégique déjà fortement convoité par d’autres puissances : la Chine avec ses investissements massifs, la Russie avec ses offensives politiques et sécuritaires, ou encore la Turquie, désormais très active sur le plan économique et culturel. Dans cette bataille silencieuse pour l’influence, Ouattara apparaît comme un allié sûr et une valeur refuge.
Aux yeux de la France, il n’est pas seulement un président ; il est l’interlocuteur idéal, rassurant par ses liens anciens avec les institutions financières internationales et par son pragmatisme jugé favorable aux partenariats occidentaux. Son maintien au pouvoir devient alors, dans l’optique de Paris, le gage de la continuité : continuité des accords économiques, continuité de la coopération militaire, continuité d’un modèle politique qui assure à la France un point d’ancrage dans une sous-région instable.
La France agit-elle par souci de stabilité pour la Côte d’Ivoire, ou défend-elle avant tout son monopole en Afrique de l’Ouest ?
Ce calcul, pourtant, se fait au détriment de l’aspiration légitime des Ivoiriens à un renouvellement démocratique, reléguant au second plan les attentes populaires d’alternance. En parallèle, les forces souverainistes ivoiriennes, qui prônent une rupture nette avec le modèle hérité de la Françafrique, se voient contraintes à l’attente. Leurs discours sur l’autonomie véritable, sur la reconquête d’une souveraineté pleine et entière, peinent à s’imposer face à ce soutien tacite – parfois explicite – de Paris au statu quo.
En protégeant ses intérêts vitaux, la France bloque de fait l’émergence rapide d’un nouvel ordre politique ivoirien, limitant la portée immédiate des mouvements souverainistes, pourtant de plus en plus écoutés par une frange de la jeunesse et de la société civile. Cette stratégie française, qui vise une stabilité apparente, comporte en réalité un revers dangereux. Miser sur un homme, fût-il Ouattara, c’est enfermer tout un système politique dans une personnalisation excessive du pouvoir. À court terme, cela assure une continuité institutionnelle et une visibilité économique.
Mais à moyen et long terme, cela risque de provoquer une crise de légitimité, d’alimenter des contestations sociales et de renforcer les divisions politiques. Loin d’apaiser le climat, cette posture pourrait accentuer les fractures ivoiriennes et fragiliser davantage un processus démocratique déjà marqué par des exclusions, des polémiques et des soupçons d’injustice. La véritable interrogation, au fond, est celle-ci : la France agit-elle par souci de stabilité pour la Côte d’Ivoire, ou défend-elle avant tout son monopole en Afrique de l’Ouest ?
Le paradoxe de la politique africaine de la France.
Derrière le débat autour du quatrième mandat d’Ouattara se joue une question de fond : celle de la place réelle de la souveraineté africaine face aux calculs stratégiques d’une ancienne puissance coloniale. En choisissant d’appuyer Ouattara comme rempart, Paris prend le risque d’associer durablement son image à une continuité contestée et de nourrir, dans les consciences, le sentiment d’un néocolonialisme tenace.
Cette équation illustre le paradoxe de la politique africaine de la France : garantir une stabilité immédiate mais au prix d’une méfiance grandissante des peuples. La Côte d’Ivoire, pièce maîtresse de l’échiquier ouest-africain, pourrait ainsi devenir le théâtre d’une confrontation entre deux visions : celle d’une continuité dictée par les intérêts extérieurs et celle d’un changement réclamé par des forces intérieures en quête de souveraineté véritable. Dans ce face-à-face, la France joue gros. Et c’est peut-être là que se situe l’avenir de son influence régionale.